PROCES LAFARGE

Du 4 novembre au 16 décembre 2025, la société Lafarge S.A. et quatre de ses anciens dirigeants seront jugés devant le tribunal judiciaire de Paris dans un procès très attendu.

Première entreprise à répondre devant la justice du chef de financement du terrorisme, le procès Lafarge fera l’objet d’un suivi attentif par le CAVEAT, qui analysera, tout au long des sept semaines d’audience, les  grands enjeux juridiques liés à cette affaire.

Helin Köse, Sarah Marie, Emma Ruquet, Gabrielle Nazarenko-Sas et l’équipe des stagiaires du CAVEAT, responsables des comptes-rendus d’audience : Erkia Ait Lachguer, Hawa Diallo, Ambrine Fareh et Jade Paumier.

  • Le procès Lafarge, inédit par son ampleur et par les qualifications retenues, soulève des questions fondamentales sur la responsabilité pénale des entreprises dans des contextes de conflit armé ainsi que sur l’application du droit pénal, et particulièrement de la justice antiterroriste, aux acteurs économiques.

    A la veille de l’ouverture de cette audience, le CAVEAT revient sur l’affaire et le contexte juridique ayant conduit à ce procès hors norme.

  • Les audiences du procès Lafarge ont été suspendues jusqu’au 18 décembre en raison de la constatation d’une irrégularité entachant l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel pour l’un des prévenus.

    Dans l’attente de la reprise de l’audience, il convient de revenir sur certains éléments fondamentaux, et en l’espèce, sur la définition et les contours de l’infraction de financement du terrorisme. 

  • Les audiences du procès Lafarge ouvrent de nouveau aujourd’hui, après 13 jours de suspension en raison de la régularisation de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Cette suspension offre l’occasion de revenir sur l’un des enjeux majeurs de la procédure : la recevabilité des constitutions de parties civiles.

     

    Cette question, marquée par plusieurs rejets et renouvellements de constitutions, illustre la tension persistante entre le respect des conditions légales de recevabilité et la reconnaissance de la place des victimes et des associations qui les représentent.

  • Les débats intervenus au cours des audiences de la semaine dernière ont porté sur la structure opérationnelle et fonctionnelle de la société Lafarge LCS, ainsi que sur ses relations avec la maison mère.

    L’examen du rôle des dirigeants, prévenus aux côtés de la société Lafarge S.A., conduit à s’interroger sur l’articulation entre la responsabilité pénale de la personne morale et celle de ses cadres dirigeants.

Procès Lafarge : personne morale et responsabilité pénale : entre répartition et cumul des responsabilités entre la société commerciale et ses dirigeants (4/8)

Responsabilité des personnes morales - – Responsabilité des dirigeants - Financement du terrorisme - Justice antiterroriste -

Les débats intervenus au cours des audiences de la semaine dernière ont porté sur la structure opérationnelle et fonctionnelle de la société Lafarge LCS, ainsi que sur ses relations avec la maison mère.

L’examen du rôle des dirigeants, prévenus aux côtés de la société Lafarge S.A., conduit à s’interroger sur l’articulation entre la responsabilité pénale de la personne morale et celle de ses cadres dirigeants.

Par Emma Ruquet, doctorante contractuelle à l’Université Evry Paris-Saclay

Le 25 novembre 2025

La reconnaissance de la personnalité juridique des personnes morales repose sur une interrogation fondamentale : les droits et obligations attribués au groupement appartiennent-ils réellement à celui-ci, ou ne sont-ils que le reflet des prérogatives individuelles de ses membres ? La personnalité juridique, entendue comme l’« aptitude à être titulaire de droits et assujetti à des obligations » 1, suppose en effet l’existence d’un sujet capable d’exprimer une volonté propre.

La doctrine a d’abord élaboré la théorie de la fiction 2, admettant certes la personnalité juridique des personnes morales, mais en la réduisant à un simple artifice : le groupement ne recevrait qu’une personnalité transposée de celle de ses membres 3, l’État demeurant maître de son attribution 4. Privée de volonté propre 5, la personne morale ne pouvait ainsi, selon cette conception, se voir imputer une responsabilité pénale 6. Toutefois, l’incapacité de ce modèle à rendre compte de la réalité fonctionnelle des organisations a conduit à son dépassement. L’évolution de la doctrine met en évidence que les groupements poursuivent des finalités propres, structurent des intérêts collectifs et jouissent d’une autonomie qui excède largement la somme des volontés individuelles 7. L’existence d’un intérêt collectif distinct et d’une unité de but assurant la cohérence interne du groupement conduit à admettre une réalité sociale autonome 8. La volonté exprimée par les organes de la personne morale peut ainsi être comprise comme une volonté corporative, véritablement imputable à l’entité elle-même.

De cette évolution émerge une conception organique de la personne morale : le groupement est appréhendé comme un être réel, distinct de ses membres, doté de la capacité juridique nécessaire à la poursuite de ses objectifs 9. La personnalité morale n’est plus envisagée comme une simple création normative, mais comme la traduction juridique d’une réalité sociale structurée. Cette réalité s’incarne dans une volonté autonome, certes collective dans son élaboration, mais propre au groupement, et soutenue par une organisation interne garantissant sa stabilité et sa continuité.

Ainsi, le glissement d’une théorie fondée sur la fiction à une conception organique marque un déplacement profond : la personnalité morale cesse d’être un artifice juridique pour devenir l’expression d’une entité autonome, porteuse d’intérêts personnels et d’une volonté propre 10. La personnalité juridique des personnes morales relève donc d’une existence réelle et n’est plus un mythe 11, elle est donc « un organisme qui puisse exercer en fait l’activité juridique » qui bénéficie d’une « volonté une et indépendante, intelligente et libre » 12. C’est sur la base de cette construction préalable, indispensable, qu’a pu ensuite s’engager la réflexion sur la reconnaissance d’une véritable responsabilité pénale des personnes morales.

Dans cette perspective, la question de cette responsabilité pénale apparaît comme l’épreuve décisive de la réalité de leur volonté propre. Si celle-ci s’exprime au nom du groupement, elle ne se manifeste pourtant qu’à travers les individus qui composent ses organes : la personne morale existe en dehors de ses membres, mais n’agit jamais sans eux. D’où une interrogation centrale : peut-on imputer une faute pénale à une entité dont chaque décision demeure matériellement le fait d’un individu ou d’un organe, alors que le principe posé à l’article 121-1 du Code pénal, « nul n’est responsable que de son propre fait », exige une intention personnelle identifiable ?

Au XXᵉ siècle, la nécessité d’appréhender directement la capacité d’action des organisations s’est affirmée. Levasseur relevait ainsi, qu’à la fin du XIXᵉ siècle s’étaient développées plusieurs théories soutenant que le droit pénal devait être envisagé « non pas en fonction de la responsabilité morale et de la faute commise par l’individu qui a transgressé les règles de vie sociale, mais en fonction de sa puissance de nuire » 13. Une telle approche conférait une place singulière aux groupements à but lucratif.

Les conclusions du Congrès de Berlin en ont tiré les enseignements : elles préconisent l’instauration de mesures de défense sociale à l’encontre des personnes morales lorsque l’infraction sert leur intérêt collectif ou mobilise leurs moyens, sans exclure pour autant la responsabilité pénale concomitante des personnes physiques qui dirigent l’entité ou qui agissent au moyen des ressources qu’elle fournit 14.

En France, la responsabilité pénale des personnes morales s’est progressivement affirmée, malgré le principe traditionnel societas delinquere non potest. Si l’ordonnance de Colbert de 1670 en esquisse les prémices 15, la jurisprudence du début du XXᵉ siècle refuse encore de condamner les dirigeants au nom de la personnalité des peines 16.

Les lois de 1992, portant la réforme du Code pénal, constituent la consécration d’une volonté de prendre en compte les nouvelles formes de responsabilités, notamment les responsabilités collectives et les responsabilités au sein d’un collectif 17. C’est en ce sens qu’elle procède à la codification de l’article 121-2 du Code pénal, reconnaissant la responsabilité pénale des personnes morales. Les lois ultérieures, la loi Fauchon 18 et Perben II 19, accompagnées de la circulaire de 2006 20, en précisent le régime : cumul de responsabilités, articulation pour les délits non intentionnels et suppression du principe de spécialité.

Le dispositif actuel, posé ainsi par l’article 121-2, repose sur deux conditions cumulatives strictes 21 : l’infraction doit avoir été commise pour le compte de la personne morale et par l’intermédiaire de ses organes ou représentants, seule voie d’expression de sa volonté.

Les débats des prochaines semaines auront ainsi pour finalité de préciser l’attribution de chacune des responsabilités en cause : au-delà de l’établissement des infractions reprochées, il s’agira d’identifier le niveau décisionnel auquel se rattache chaque acte.

« Le tribunal examine ce jeudi la chaine opérationnelle, précisément pour déterminer qui prenait les décisions sur place et évaluer les responsabilités dans le maintien en fonctionnement de l’usine dans les sommes versées aux groupes armés. »

 

La responsabilité de la personne morale : nécessaire reconnaissance de la poursuite d’un intérêt propre à travers ses organes et représentants

Les groupements personnifiés constituent des sujets de droit à part entière, pleinement capables de l’intention requise par le droit pénal. Cette intention « correspond à la réalité concrète de l’activité collective, puisque c’est souvent à ce niveau, et non à celui d’un ou plusieurs comportements individuels, que l’infraction a puisé son énergie fondamentale » 22. La responsabilité pénale de la personne morale s’ancre ainsi dans la poursuite de l’intérêt corporatiste, qui constitue le cœur de sa définition et de son engagement. L’expression « pour le compte de » renvoie à la réalisation des intérêts propres de la société, autrement dit à son intérêt social 23, et cette volonté ne peut se manifester que par l’intermédiaire des personnes physiques qui composent l’entité. Représentants et organes constituent ainsi le « substratum humain » 24 indispensable à l’expression de la volonté collective.

Pour que la responsabilité de la personne morale puisse être engagée, l’infraction doit donc être commise par les personnes habilitées, de jure ou de facto, à agir au nom de la société. La jurisprudence a progressivement élargi cette notion 25, notamment à travers la délégation de pouvoirs, lorsqu’elle est réelle et régulière et que l’acte incriminé relève de cette délégation 26. Lors des audiences du procès Lafarge, la question est largement soulevée, non seulement pour déterminer l’existence de délégations, mais également pour apprécier l’étendue de l’obligation de contrôle qui peut peser sur le délégataire au regard des actes entrant dans le cadre de cette délégation, et ainsi établir la répartition des responsabilités entre les différentes personnes physiques poursuivies. À cet égard, la 16ème chambre s’attache à distinguer les différentes formes possibles de délégation, qu’elle soit de fait, formelle ou encore d’“opportunité”. L’examen de ces chaînes de délégation éclaire ainsi la présence, aux côtés de Lafarge SA, de l’ancien PDG de la maison mère (M. Lafont), de l’ancien DGA opérationnel (M. Herrault), des anciens directeurs de l’usine de Jalabiya (MM. Pescheux et Jolibois) ainsi que des directeurs de la sûreté du site (MM. Waerness et Al Jaloudi).

La doctrine et la jurisprudence ont donc rejeté le modèle vicariant traditionnel 27 au profit d’une responsabilité par ricochet, imputable directement à la personne morale 28. Dans cette perspective, la Cour de cassation avait initialement pu admettre une présomption d’imputabilité, sans identification précise de l’auteur matériel, lorsque l’infraction s’inscrivait dans le cadre de « la politique commerciale de la société » 29. Cette appréciation a toutefois été abandonnée, la Cour exigeant désormais l’identification de l’acteur matériel, afin de respecter le principe de la présomption d’innocence 30.

Parallèlement, la condition dite « pour son compte » implique que l’infraction ait été commise non pas dans l’intérêt personnel du représentant ou de l’organe, mais qu’elle ait été commise par lui comme incarnation physique de l’intérêt social du groupement. La décision fautive doit donc refléter la volonté collective de la personne morale, et non celle de l’individu.

 

Articulation et cumul de responsabilité entre les représentants et organes et la société commerciale : un casse-tête juridique

L’examen du procès Lafarge illustre concrètement les enjeux du cumul de responsabilité : la société Lafarge SA, personne morale, ainsi que plusieurs anciens dirigeants, M. Lafont, M. Bruno Pescheux, M. Frédéric Jolibois et M. Christian Herrault, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris. Au cours de la dernière semaine d’audience, les interrogatoires ont porté sur la structuration de la chaîne opérationnelle, tant au sein de Lafarge LCS, filiale syrienne, que dans ses interactions avec la maison mère. Cette affaire souligne la complexité de déterminer dans quelle mesure la responsabilité pénale de la personne morale peut être engagée simultanément avec celle des personnes physiques, alors même que l’action matérielle doit nécessairement passer par un biais humain agissant « pour le compte de la société », considérant que le représentant ou l’organe n’a fait qu’incarner la volonté de l’entité, effaçant donc son intention personnelle.

Le projet de loi de 1994, introduisant la responsabilité pénale des personnes morales, visait précisément à supprimer la « présomption de responsabilité des dirigeants » 31. L’alinéa 31 3 de l’article 121-2 du Code pénal prévoit désormais 32 la possibilité de cumuler la responsabilité pénale de la personne morale avec celle de l’organe ou du représentant ayant matériellement agi.

Pour que ce cumul soit effectif, il est nécessaire d’établir l’imputabilité de l’infraction à la fois à la personne morale et à la personne physique, en respectant la distinction des éléments constitutifs qui permettent de caractériser cette imputabilité 33. Ainsi, la responsabilité de la société ne se confond pas avec celle de ses représentants : la relaxe d’un dirigeant ou d’un organe n’entraîne pas celle de la personne morale et peut, au contraire, coexister avec sa condamnation. La jurisprudence a confirmé que le cumul constitue une possibilité, et non une obligation, et que l’auteur matériel identifié n’a pas à être poursuivi in personam 34.

La loi Fauchon a partiellement précisé ce cumul en limitant la responsabilité des personnes physiques auteurs « indirects » de délits d’imprudence aux seules fautes qualifiées, alors que les personnes morales restent exposées. La circulaire relative à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi 9 mars 2004 a fixé deux orientations de politique pénale : pour les infractions intentionnelles, la règle générale consiste à poursuivre conjointement la personne physique et la personne morale, tandis que pour les infractions non intentionnelles ou techniques, la mise en cause de la personne physique n’intervient que si sa faute personnelle est suffisamment caractérisée 35.

Cependant, le véritable problème du cumul réside dans son défaut d’encadrement législatif. L’opportunité des poursuites est laissée à la discrétion du Parquet 36, et l’appréciation de la répartition des responsabilités revient intégralement aux juges. Cette absence de critères précis soulève des questions de sécurité juridique et de prévisibilité de la loi pénale, d’autant plus que des situations similaires peuvent donner lieu à des décisions divergentes 37. Cette situation génère une incertitude notable pour tous les acteurs économiques concernés, personnes physiques ou morales, quant à l’étendue exacte de leurs responsabilités et aux risques de poursuites 38, et constitue précisément l’un des aspects des questions qui seront examinées devant le tribunal correctionnel de Paris jusqu’au 19 décembre.

Se pose, en filigrane, la question de l’appréhension juridique d’éventuelles défaillances systémiques dans l’organisation et le processus décisionnel de la société. Car si des schémas hiérarchiques se dessinent, quid de leur effectivité réelle ? Et, le cas échéant, quid des conséquences que de telles insuffisances organisationnelles ont pu entraîner dans la commission des infractions reprochées ?

 

 

Références bibliographiques :

1. G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 12ème édition, 2018.

2. J.-M. TRIGEAUD, « La personne humaine, sujet de droit », in La personne humaine, sujet de droit, IVèmesjournées Poitiers 1993, P.U.F., 1994.

3. B. OPPETIT, Les rapports des personnes morales et leurs membres, Thèse, Paris, 1963.

4. R. SALEILLES, De la personnalité juridique, Paris, LGDJ, 2003 et Code Civil du Bas Canada, Titre Préliminaire, Livre Premier – Des personnes, Titre onzième - Des corporations, Chapitre premier - De la nature des corporations, de leur sources et de leurs divisions, Article 352, (1980), remplacé le 1er janvier 1994 par le Code Civil du Québec.

5. R. VON SAVIGNY, Traité de droit romain, trad. C. GUENOUX, Tome II, Paris, Firmin-Didot, 2ème éd., 1860.

6. Cass. crim. 10 mars 1877, S. 1877, 1, p. 336 et Cass. crim., 8 mars 1883, DP 1884, 1, p. 428.

7. R. SALEILLES, De la personnalité juridique, Paris, LGDJ, 2003 ; K.EM. EL SAYED, Le problème de la responsabilité pénale des personnes morales, Thèse, Paris I, 1988.

8. L. MICHAUD, De la personnalité morale et son application en droit français, 3è ed., Trotabas Louis, Paris, 1932.

9. Cass. 2ème civ., 28 janv. 1954, dit Arrêt Saint-Chamond, GAJ civ., p. 80 ; Cass. soc., 17 avril 1991, JCP G 1992, II 21856, note BLAIRE.

10. L’octroi de la personnalité juridique est tout de même soumis à l’intervention du législateur, Article 1842 du Code Civil et Article 210-6 du Code de Commerce pour les sociétés commerciales.

11. H.L.A. HART Definition and theory injurisprudence, Oxford: Clarendon Press 1953, p. 17 in B. BOUCKAERT, «Corporate personality: myth, fiction or reality?», Israel Law Review, vol. 25, no. 2, p. 156.

12. SALEILLES, in L. MICHOUD, « La théorie de la personnalité morale dans l’oeuvre de Salleilles », in L’oeuvre juridique de R. Saleilles, 1914, p. 299 et s.

13. G. LEVASSEUR, Cours de droit pénal général complémentaire, 1960.

14. Association Internationale de Droit Pénal, Congrès de Bucarest, Revue Internationale de Droit Pénal, 7ème année, n° 1, 1930, p.10

15. Ordonnance criminelle du mois d’août 1670, Titre XXI - DE LA MANIÈRE DE FAIRE LE PROCÈS AUX COMMUNAUTÉS DES VILLES, BOURGS ET VILLAGES, CORPS ET COMPAGNIES.

16. Cass. crim. 8 mars 1883 (S. 1885 I 470) ; CA Douai, 7 déc. 1935, Gaz. Pal. 1936(1), p. 411. ; Cass. crim., 29 janv. 1936, Gaz. Pal. 1936(1), p. 337.

17. Loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 ; Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 ; Loi n° 92-685 du 22 juillet 1992 ; Loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 ; Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992.

18. Loi n° 2000‑647 du 10 juillet 2000.

19. Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.

20. Circulaire du 13 février 2006 relative à l'entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des dispositions de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004.

21. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 27 avril 2011, 11-90.013, Inédit.

22. A. De Nauw cité par N. Colette-Basecqz, La responsabilité pénale des personnes morales, questions choisies, dir. : N. Colette- Basecqz et M. Nihoul, Anthémis, Bruxelles, 2011, p. 32.

23. M.A. Afchain, La responsabilité de la société (administrative, civile et pénale) : contribution à l'étude de la personnalité morale de la société, Thèse, Université de Tours, 2006

24. J. TRICOT, Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes morales : l’exemple du droit français, Revue de droit criminel et de science comparée, 2012, 1(1), pp. 19-46.

25. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 juillet 2017, 16-82.426, Publié au bulletin ; Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 14 mars 2018, 16-82.117, Publié au bulletin ; Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 16 juin 2021, 20-83.098, Publié au bulletin.

26. Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 22 février 2000, 99-80.231, Inédit.

27. J. TRICOT, Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes morales : l’exemple du droit français, Revue de droit criminel et de science comparée, 2012, 1(1), pp. 19-46.

28. H. MATSOPOULOU, Faut-il réécrire l’article 121-2 du Code Pénal sur la responsabilité pénale des personnes morales ? In : Le nouveau Code Pénal, 20 ans après, dir. L. SAENKO, 2014.

29. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 25 juin 2008, 07-80.261, Publié au bulletin.

30. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 1 avril 2014, 12-86.501, Publié au bulletin ; Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 10 décembre 2019, 18-84.737, Inédit.

31. R. Badinter, Projet de nouveau Code Pénal, Dalloz, Paris, 1988.

32. Loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000.

33. T. Corr. Lyon, 9 octobre 1997, Jurisclasseur Périodique 1998. I. 105, obs. J.-H. Robert.

34. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 14 mars 2018, 16-82.117, Publié au bulletin.

35. Circulaire du 13 février 2006 relative à l'entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des dispositions de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004.

36. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 avril 2017, 16-80.149, Inédit.

37. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 avril 2010, 09-86.429, Inédit ; Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 1 septembre 2010, 09-87.234, Inédit.

38. ViaVoice, Baro Alto, Observatoire de la responsabilité pénale des dirigeants et des entreprises, 2IES Institut pour l’innovation économique et sociale, Avril 2022.

Procès Lafarge : conditions de constitution de parties civiles en matière de financement de terrorisme, l’obstacle de la théorie de l’infraction d’intérêt général ? (3/8)

Responsabilité des personnes morales - Financement du terrorisme - Justice antiterroriste - Constitution de parties civiles

Les audiences du procès Lafarge ouvrent de nouveau aujourd’hui, après 13 jours de suspension en raison de la régularisation de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Cette suspension offre l’occasion de revenir sur l’un des enjeux majeurs de la procédure : la recevabilité des constitutions de parties civiles.

Cette question, marquée par plusieurs rejets et renouvellements de constitutions, illustre la tension persistante entre le respect des conditions légales de recevabilité et la reconnaissance de la place des victimes et des associations qui les représentent.

Par Emma Ruquet, doctorante contractuelle à l’Université Evry Paris-Saclay et Julie Heliot, avocate au Barreau de Paris

Le 18 novembre 2025

La place reconnue aux victimes dans le procès pénal résulte d’une longue évolution historique, essentielle pour comprendre la distinction entre action civile et action publique et saisir pourquoi leur participation n’a rien d’évident dans la logique pénale.

Beccaria, dans Des délits et des peines 1, rappelle que les peines visent à préserver le contrat social : chaque individu renonce à une part de liberté pour permettre la coexistence sociale, et le droit de punir sanctionne les atteintes à cet équilibre. Le droit pénal protège ainsi la communauté plutôt que l’individu isolé. La justice constitue, pour Beccaria, le « lien nécessaire des intérêts particuliers » 2.

Cette approche s’oppose aux systèmes anciens fondés sur la vengeance, où le délit était une atteinte à la famille de la victime 3 et justifiait la rétorsion collective, selon la loi du Talion ou des systèmes de compensation 4. Le droit pénal ancien visait surtout à dédommager la victime, « l’âge d’or de la victime » selon S. Schafer 5, les premières juridictions substituant un duel d’accusations au duel réel.

L’essor du pouvoir royal modifie profondément ce schéma : à partir du XIIᵉ siècle, l’État intervient pour préserver la paix sociale, et la collectivité devient la « chose publique » lésée. La victime perd alors son rôle central, ne participant que comme témoin ou partie civile 6. Jousse, commentateur de l’ordonnance de 1670, distingue deux intérêts : celui de la société et celui de la victime, chacune contribuant à la punition du crime selon sa fonction respective 7. Le système prend ainsi une forme tricéphale, où l’État, la partie civile et la victime jouent des rôles complémentaires mais distincts dans la procédure pénale.

Ce n’est qu’au XXᵉ siècle, sous l’influence des droits de l’Homme 8 et de la victimologie, que la victime retrouve progressivement un rôle actif. La Cour de cassation consacre sa faculté de se constituer partie civile et d’actionner l’action publique 9, tandis que diverses réformes étendent ses droits et garanties procédurales, tant au plan national 10 qu’international 11. C’est dans ce contexte que la législation antiterroriste instaure les articles 706-16 et suivants du Code de procédure pénale, adaptés et modifiés jusqu’à leur forme actuelle, analysée dans cet article.

 

La recevabilité des constitutions de parties civiles : articulation entre action publique et action civile

L’étude de la recevabilité des constitutions de partie civile impose de distinguer clairement l’action publique de l’action civile. Tandis que l’action publique demeure, en vertu de l’article 1er du Code de procédure pénale, le monopole du ministère public ou de la partie lésée, l’action civile répond à une logique distincte : elle appartient à « tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » 12.

Depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, l’office du juge pénal s’est toutefois profondément reconfiguré. L’article 706-16-1 CPP lui retire sa compétence traditionnelle d’indemnisation, désormais dévolue au Fond de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infraction sous le contrôle du juge civil, le juge unique d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes 13. Le juge pénal ne statue donc plus que sur la recevabilité des constitutions de partie civile, et non sur le bien-fondé des demandes indemnitaires. Cette évolution crée un paradoxe : l’ouverture de la constitution de partie civile s’accompagne d’un retrait corrélatif du pouvoir indemnitaire du juge répressif 14.

S’agissant des personnes physiques, la Cour de cassation maintient l’exigence classique d’un préjudice direct, personnel et certain 15, dont il suffit qu’il apparaisse « possible » au stade de la recevabilité 16. Les contentieux liés aux attentats de 2015 et 2016 ont permis de préciser ce contrôle 17. La chambre criminelle adopte une méthode en deux temps : « ratione materiae, ne peut être considérée comme victime d’un acte terroriste que la personne dont le préjudice peut découler de la qualification retenue ; ratione personae, est victime celle qui a été exposée à un risque de mort ou d’atteinte grave, de manière immédiate ou médiate » 18.

Les associations sont quant à elles soumises à un régime dérogatoire fondé sur le principe de spécialité : en vertu de l’article 2-9 du Code de procédure pénale, l’exercice de l’action civile par ces entités suppose une ancienneté minimale de cinq ans ou une habilitation législative fondée sur la conformité de leurs statuts à l’objet de l’infraction poursuivie. La jurisprudence de la Cour de cassation 19 confirme que l’association ainsi habilitée n’a pas à démontrer un préjudice direct et personnel : l’habilitation législative suffit à établir l’intérêt à agir 20. Cette prérogative demeure toutefois exceptionnelle, la Cour de cassation rappelant que l’action civile associative doit être « strictement renfermée dans les limites fixées par le Code de procédure pénale » 21. En outre, si l’habilitation dispense de prouver le préjudice pour agir, elle ne dispense nullement de l’établir pour obtenir réparation 22.

Au-delà des habilitations législatives, la jurisprudence admet cependant, à titre résiduel, que des associations non expressément habilitées puissent se constituer partie civile dès lors qu’elles démontrent l’existence d’un préjudice direct, personnel et certain 23.

Enfin, la doctrine distingue l’action civile vindicative, orientée vers la reconnaissance de la culpabilité, de l’action civile patrimoniale, subordonnée à la preuve d’un préjudice réparable 24.

Dans le cadre des infractions terroristes, les associations habilitées interviennent principalement dans une perspective vindicative : elles agissent comme de véritables auxiliaires du ministère public, en soutien de l’action répressive et au service de la protection d’intérêts collectifs déterminés par le législateur. L’obtention de dommages et intérêts les renvoie toutefois au droit commun de l’action patrimoniale, pour laquelle la preuve d’un préjudice direct et personnel redevient indispensable.

 

La recevabilité des constitutions de parties civiles : spécificités propres à l’infraction de financement du terrorisme

L’infraction de financement du terrorisme soulève une difficulté structurelle : infraction-obstacle 25, elle ne lèse qu’un intérêt collectif et non des individus déterminés 26. La démonstration d’un préjudice direct et personnel, condition d’exercice de l’action civile, se heurte alors à la théorie de l’infraction d’intérêt général.

Cette théorie, issue de l’arrêt Suter-Siniard du 25 juillet 1913 27, reconnaît que certaines infractions,  « ne lèsent que la généralité des citoyens » et ne causent par principe aucun préjudice individuel. Malgré les critiques doctrinales 28, elle subsiste dans la jurisprudence contemporaine. La chambre criminelle en a fait application dans son arrêt du 7 septembre 2021 29 : l’association Life for Paris, ainsi que « les victimes que l’association regroupe » ne pouvait se constituer partie civile pour l’infraction de financement du terrorisme, faute de préjudice direct et personnel.

Dans l’affaire Lafarge, pour contourner cet obstacle de la théorie de l’infraction d’intérêt général, il avait été soutenu que le financement du terrorisme était indissociablement lié à d’autres infractions susceptibles d’engendrer un préjudice individuel. La Cour de cassation a toutefois rejeté cette thèse : les faits ne présentaient qu’une simple connexité, insuffisante à caractériser l’indivisibilité exigée pour contourner la théorie de l’intérêt général 30.

Reste posée la question du rôle des associations dans la défense d’intérêts collectifs qui, sans équivaloir à des préjudices individuels, participent néanmoins de la protection de l’ordre public.Ainsi, Les associations, en défendant des intérêts collectifs, peuvent‑elles être considérées comme de véritables auxiliaires du législateur dans la protection de l’intérêt général, dès lors que ces intérêts collectifs peuvent constituer une composante substantielle de celui-ci ? Cette interrogation invite à réfléchir au rôle que le droit pénal leur confère, dépassant la simple défense d’intérêts particuliers pour contribuer à la sauvegarde d’une partie essentielle de l’ordre public 31.

 

Références bibliographiques :

1. C. Beccaria, Des délits et des peines, 1764, traduit par M. Chaillou de Lisy, Paris, 1773.

2. Ibidem, « Chapitre II - Droit de punir ».

3. J-A. Wemmers « 1. L’évolution du rôle de la victime dans le système pénal ». Introduction à la victimologie, Presses de l’Université de Montréal, 2003, https://doi.org/10.4000/books.pum.10770.

4. P. Matthieu, « La victime l’infraction pénale dans l’histoire », in La victime de l’infraction pénale, C. Ribeyre (dir.), Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2016, p. 9.

5. cité notamment par Wemmers, in Introduction à la victimologie.

6. Op. cit., n° 3.

7. R. Garraud, L’interdépendance des actions publiques et civiles, Traité d’instruction criminelle et de procédure pénale, T.I p. 149.

8. V. Weber, La pluralité de victimes en droit pénal, Thèse, Bibliothèque des sciences criminelles, Tome 74, LGDJ, Paris, 2024, p. 19.

9. Crim. 8 déc. 1906, Placet dit Laurent-Atthalin.

10. Loi n° 0187 du 10 juillet 1901 sur l’assistance judiciaire publiée au Journal officiel de la République française ; Loi du 22 mars 1921 modifiant la loi du 8 décembre 1897 concernant l'instruction criminelle ; Loi n°77-5 du 3 janvier 1977 garantissant l’indemnisation de certaines victimes de dommages corporels résultant d’une infraction.

11. ONU, AGNU, A/RES/40/34, Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir, 29 novembre 1985.

12. Code de Procédure Pénale, Article 2.

13. J. Alix, La Cour de cassation redessine les contours de la constitution de partie civile des victimes d'attentat terroriste, AJ pénal 2022, p.143

14. E. Delacoure, « Le juge pénal face à l'action civile en matière de terrorisme Crim. 29 mars 2023, F-B, n° 22-84.267 », Dalloz actualité 19 avril 2023.

15. Cour de cassation, Recueil annuel des études, Les victimes d’actes de terrorisme : spécificité et enjeux juridiques, 2024.

16. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 avril 2022, 21-81.889, Publié au bulletin, par. 17.

17. Cour de cassation, Attentats de Nice, de Marseille et assaut de Saint-Denis, Actualités de la Cour de cassation, 15 février 2022.

18. op. cit. n°13.

19. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 avril 2020, 19-81.273, Publié au bulletin.

20. C. Lacroix, « Constitution de partie civile des associations de défense des victimes de terrorisme : rappel sur les conditions nécessaires et suffisantes », DALLOZ, 28 mai 2020.

21. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 25 septembre 2007, 05-88.324, Publié au bulletin.

22. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 nov. 1978, n° 75-92.333, Bull. crim. n°32.

23. Cour de cassation, chambre criminelle, 25 juillet 1913, Réseau du souvenir, 70-90.558, Publié au bulletin.

24. G. Beaussonie, Intérêt collectif et intérêt général, Le rôle des associations en droit pénal, Toulouse Capitole Publications, IEJUC, Université Toulouse-Capitole.

25. Voir l’article de la semaine précédente, J. Héliot et E. Ruquet, « Procès Lafarge : contours et définition juridique de l’infraction de financement de terrorisme à la lumière de l’affaire Lafarge », disponible en ligne : https://www.le-caveat.org/les-grands-proces.

26. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 avril 2020, 19-81.273, Publié au bulletin.

27. Cour de cassation, chambre criminelle, 25 juillet 1913, Suter-Siniard, après délibération en la Chambre du conseil.

28. A. Cerf-Hollender, Recevabilité et bien fondé de l’action civile du salarié en cas de travail clandestin ou dissimulé, RSC, 2002.

29. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 septembre 2021, 19-87.036, Publié au bulletin.

30. Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 avril 2022, 21-81.889, Publié au bulletin.

31. Op. cit. n°24.

Procès Lafarge : contours et définition juridique de l’infraction de financement de terrorisme à la lumière de l’affaire Lafarge (2/8)

Responsabilité des personnes morales - Financement du terrorisme - Justice antiterroriste 

Les audiences du procès Lafarge ont été suspendues jusqu’au 18 novembre en raison de la constatation d’une irrégularité entachant l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel pour l’un des prévenus.

Dans l’attente de la reprise de l’audience, il convient de revenir sur certains éléments fondamentaux, et en l’espèce, sur la définition et les contours de l’infraction de financement du terrorisme.

Par Emma Ruquet, doctorante contractuelle à l’Université Evry Paris-Saclay et Julie Heliot, avocate au Barreau de Paris

Le 10 novembre 2025

Le procès Lafarge, dont certains volets restent à venir, porte actuellement sur le financement du terrorisme et la violation d’un embargo international. Initialement, la plainte déposée en 2016 par les associations Sherpa et ECCHR, soutenue par d’anciens salariés syriens, visait également des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et une mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Les années de procédure ont conduit à un resserrement et à une disjonction partielle des poursuites.

Le 28 juin 2018, Lafarge S.A. est mise en examen pour l’ensemble de ces infractions. Cependant, par un arrêt du 7 novembre 2019, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris écarte la complicité de crimes contre l’humanité, décision confirmée par la Cour de cassation le 7 septembre 2021, avant que celle-ci ne valide finalement la mise en examen pour ce chef dans un arrêt du 16 janvier 2024. Ainsi, le 16 octobre de la même année, Lafarge S.A. est renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris pour financement du terrorisme et violation d’un embargo international, tandis que le volet relatif à la complicité de crimes contre l’humanité demeure à l’instruction.

Pour analyser avec précision les enjeux des prochaines audiences du procès Lafarge, il convient, en premier lieu, de rappeler les contours juridiques de la notion de terrorisme ainsi que le cadre normatif de l’infraction de financement du terrorisme. Cette mise au point s’impose d’autant plus que, dès l’ouverture des débats, plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité ont été soulevées. Le tribunal correctionnel a cependant refusé de les transmettre, estimant qu’elles ne présentaient pas un caractère sérieux. Ces QPC visaient l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction, interrogeant tant l’élément matériel, notamment la portée de la notion de « conseil », que l’élément moral, dont l’exigence n’implique pas une adhésion à l’idéologie et aux finalités criminelles de l’organisation terroriste. Ce point soulevait, en filigrane, de possibles tensions avec le principe de personnalisation des peines. Ainsi, ces demandes, bien qu’écartées, révèlent les incertitudes persistantes et les zones de friction qui entourent la définition et l’appréhension juridictionnelle de l’infraction de financement du terrorisme. 

Ce questionnement sur les limites de l’infraction renvoie, plus largement, à une difficulté plus fondamentale : celle de cerner juridiquement un phénomène dont la définition demeure controversée. Il n’existe pas de définition consensuelle du terrorisme. Dès les années 1970, des textes ont tenté de proposer une approche générale qui n’a cependant pas été acceptée unanimement par les États 1. La doctrine souligne depuis toujours la difficulté de conceptualisation du terrorisme, liée à la diversité des actes, la pluralité des contextes historiques et politiques, et les enjeux normatifs que recouvre toute définition 2.

Thierry Renoux propose de retenir trois critères cumulatifs pour qualifier un acte de terrorisme 3 : une violence d’une exceptionnelle gravité ; un objectif poursuivant une idéologie politique, philosophique ou religieuse, sans finalité lucrative, visant à imposer cette idéologie par la peur et l’intimidation et ; l’existence d’une organisation terroriste 4.

Thierry Renoux propose de retenir trois critères cumulatifs pour qualifier un acte de terrorisme  : une violence d’une exceptionnelle gravité ; un objectif poursuivant une idéologie politique, philosophique ou religieuse, sans finalité lucrative, visant à imposer cette idéologie par la peur et l’intimidation et ; l’existence d’une organisation terroriste .

Ainsi, le Code pénal, s’inspirant de la loi fondatrice du 9 septembre 1986 et des évolutions législatives ultérieures 5, réprime explicitement quatre catégories d’infractions terroristes, parmi lesquelles le «  terrorisme associatif  » et le «  terrorisme financier  », élargissant la conception juridique de l’acte terroriste en intégrant les soutiens financiers et logistiques 6. En ce sens, l’article 421‑2‑2 7, qui codifie cette nécessité d’appréhender le terrorisme dans toutes ses ramifications, dispose :

« Constitue également un acte de terrorisme le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte. »

Les audiences du procès Lafarge se concentrent sur cette infraction, et le CAVEAT s’est attaché à en examiner la définition et les contours, tant cette incrimination a suscité à de nombreuses reprises débats et interrogations dans le champ juridique.

Pour comprendre pleinement l’infraction et apprécier sa matérialisation juridique, il est nécessaire d’examiner les objectifs poursuivis par le législateur et les éléments constitutifs de l’infraction.

La finalité de l’infraction de financement du terrorisme : une incrimination autonome au service de la prévention des actes terroristes et de la lutte contre l’impunité

La compréhension de l’infraction de financement du terrorisme suppose de revenir sur les objectifs poursuivis par le législateur lors de sa création. Celui-ci est parti d’un constat simple : l’efficacité des organisations terroristes repose sur leur capacité à mobiliser des ressources financières, qu’il s’agisse de soutenir leurs activités opérationnelles, d’assurer leur propagande ou encore de financer le recrutement et la formation de leurs membres 8. Comme le souligne la Convention de New York de 1999, « le nombre et la gravité des actes de terrorisme international sont fonction des ressources financières que les terroristes peuvent obtenir » 9.

Partant de ce constat, le législateur français a souhaité ériger le financement du terrorisme en infraction autonome, afin d’interrompre la chaîne logistique indispensable à la commission des actes terroristes. L’objectif est résolument préventif : il s’agit d’éviter que la fourniture ou la gestion de fonds ne constitue un relais et ne permette la réalisation d’attentats, au risque sinon d’une impunité lorsque l’acte final ne serait pas exécuté.

Cette logique a trouvé une traduction concrète dans le plan de lutte contre le financement du terrorisme présenté en mars 2015 par le ministre des Finances Michel Sapin, visant à réduire l’anonymat dans l’économie, renforcer la surveillance des flux financiers et améliorer les mécanismes de gel des avoirs 10.

L’incrimination présente dès lors une portée étendue, elle vise toutes les hypothèses entrant dans la définition du terrorisme au sens du Code pénal, indépendamment du stade d’exécution de l’acte principal. En ce sens, l’acte de financement, bien qu’étant préparatoire, est placé sur un pied d’égalité avec l’acte terroriste lui-même. Il s’agit ainsi d’une infraction obstacle 11, conçue pour prévenir la survenance de l’acte final.

Ainsi définie, la finalité de l’infraction met en lumière la logique préventive et autonome du dispositif. Les éléments constitutifs, quant à eux, traduisent juridiquement cette volonté de réprimer toute participation, directe ou indirecte, au soutien d’une entreprise terroriste.

La caractérisation du financement du terrorisme : une incrimination autonome aux éléments constitutifs élargis

Sur le plan légal, le Code pénal consacre le financement du terrorisme comme infraction autonome 12, distincte de la complicité d’acte terroriste. L’article 421‑2‑2, issu de la loi n° 2001‑1062 du 15 novembre 2001 précise que le financement d’une entreprise terroriste peut être poursuivi « indépendamment de la survenance éventuelle d’un tel acte ». Par cette rédaction, le législateur a voulu isoler et réprimer le soutien logistique apporté aux activités terroristes, sans qu’il soit nécessaire qu’un acte matériel ait été accompli. L’infraction s’inscrit ainsi dans une approche extensive de la criminalité terroriste, où le financement constitue un élément structurel et constitutif de l’entreprise terroriste dans sa globalité.

Concernant la mens rea, l’infraction requiert un élément moral spécifique, situé entre le dol général et le dol spécial : il suffit que l’auteur sache que les fonds seront utilisés pour l’entreprise terroriste ou ait l’intention d’y participer, directement ou indirectement. La jurisprudence confirme que l’adhésion à l’idéologie du groupement terroriste n’est pas nécessaire 13. Ainsi, dans sa décision du 7 septembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a validé la mise en examen de Lafarge S.A., considérant que la Chambre de l’instruction pouvait retenir que la société avait pu négocier, « fût-ce indirectement », avec des groupes islamistes dont la nature terroriste ne pouvait lui échapper 14. L’élément moral se limite donc à la connaissance de la nature terroriste de l’entreprise et la conscience d’y contribuer, rompant ainsi avec la double exigence pénale classique de volonté et connaissance, et permettant de saisir la réalité des pratiques financières soutenant le terrorisme.

(L’élément moral se limite donc à la connaissance de la finalité terroriste des fonds ou de l’entreprise et à la conscience d’y contribuer, rompant ainsi avec la double exigence pénale classique de volonté et connaissance, tout en permettant de saisir la réalité des pratiques financières soutenant le terrorisme. )

Enfin, l’actus reus de l’infraction de financement du terrorisme consiste à fournir, réunir, gérer ou conseiller des fonds, valeurs ou biens quelconques, « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, en vue de commettre » l’une des infractions terroristes prévues par le Code pénal. La condition préalable à la qualification de l’infraction est que ces fonds soient destinés à une « entreprise terroriste », notion désignant toute activité organisée en vue de réaliser des actes de terrorisme, « et ce quel que soit le stade criminel auquel elle se situe » 15.

L’article 421‑2‑2 du Code pénal énumère les modes de financement visés : la fourniture, la réunion ou la gestion de fonds, valeurs ou biens, quels que soient leurs montants, ainsi que la délivrance de conseils en vue de soutenir une entreprise terroriste. Cette énumération large permet de viser une grande diversité de comportements.

Par cette approche, le législateur assimile le financement à un acte de terrorisme à part entière, conformément à la formule « constitue également un acte de terrorisme » de l’article 421‑2‑2, en lien avec l’article 421‑1 du Code pénal qui précise les éléments déterminants de l’infraction.

En l’espèce, l’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 7 septembre 2021 constitue un jalon essentiel dans l’analyse de l’infraction de financement du terrorisme, appliquée à la société Lafarge S.A. et à sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria. La Cour relève que cette dernière « a versé des sommes d'argent, par l'intermédiaire de diverses personnes, à différentes factions armées qui ont successivement contrôlé la région et étaient en mesure de compromettre l'activité de la cimenterie », et que ces montants se sont élevés « à hauteur de 15 562 261 dollars américains au moyen de la trésorerie de la société LCS, par le truchement d’intermédiaires […] auprès des groupes armés qui ont successivement pris le contrôle de la région où se déroulait l'activité de la société LCS », la trésorerie de LCS ayant été « alimentée à hauteur de 86 000 000 dollars par des fonds en provenance de la société Lafarge Cement Holding, de droit chypriote, elle-même contrôlée par la société Lafarge » 16.

La Cour de cassation constate en outre que ces transferts, opérés au bénéfice de groupes tels que l’Armée syrienne libre, les forces kurdes ou encore l’État islamique, ont été réalisés dans un contexte où la société, comme mentionné précédemment, ne pouvait ignorer la nature terroriste de certains de ses interlocuteurs. Partant, elle confirme la décision de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris ayant ordonné la mise en examen de Lafarge S.A. pour financement d’une entreprise terroriste.

Il appartient donc au tribunal judiciaire de Paris, dans les prochaines semaines, d’évaluer si les circonstances d’espèce qui lui sont soumises entrent dans le champ légal d’application des dispositions pénales pertinentes et mentionnées précédemment.

Références bibliographiques :

1. ONU, AGNU, A/RES/51/210, 16 janvier 1997.

2. Duez, Denis, De la définition à la labellisation : le terrorisme comme construction sociale, In: Karine Bannelier, Théodore Christakis, Olivier Corten, Barbara Delcourt, Le droit international face au terrorisme, Après le 11 septembre 2001, Pedone, Paris, 2004, p. 105-118.

3. Thierry S. RENOUX, Juger le terrorisme, In CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 14 (DOSSIER : LA JUSTICE DANS LA CONSTITUTION) - MAI 2003.

4. Code pénal, art. 421-1, 421-2, 421-2-1 et 422-2.

5. Loi n° 92-686 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique, 22 juillet 1992 ; LOI n° 2001-1062 relative à la sécurité quotidienne (1), 15 novembre 2001.

6. Op. cit. n°3.

7. Créé par l’article 33 de la loi n° 2001‑1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne intégrant notamment les dispositions de la Convention Internationale pour le répression du financement du terrorisme, New York, 9 décembre 1999.

8. Sénat, Projet de loi relatif à la répression du financement du terrorisme, Rapport n° 355 (2000-2001) de M. André ROUVIÈRE fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 6 juin 2001.

9. ONU, Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, New-York, 9 décembre 1999, préambule.

10. Ministère des Finances et des Comptes public, Plan d’action pour la lutte contre le financement du terrorisme, 18 mars 2015.

11. Zeyad BELQASEM, La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : étude comparée des droits français et libyen [en ligne], Thèse de doctorat en droit, sous la direction de Magdy Habchy, Reims, Centre de recherches juridiques sur l'efficacité des systèmes continentaux, 2021, p.608.

12. Ibidem.

13. Jerôme Laserre Capdeville, « La répression pénale du financement du terrorisme : analyse contemporaine », Lextenso, LPA, 07 nov. 2018, n° 139x7, p.10

14. Cass,. crim., 7 septembre 2021, n°19-87.367, Publié au bulletin, cons. 36-44.

15. Op. cit. n°13.

16. Op. cit. n°14.

Procès Lafarge : retour sur les fondements juridiques d’une affaire sans précédent (1/8)

Responsabilité des personnes morales - Financement du terrorisme - Justice antiterroriste 

Le procès Lafarge, inédit par son ampleur et par les qualifications retenues, soulève des questions fondamentales sur la responsabilité pénale des entreprises dans des contextes de conflit armé ainsi que sur l’application du droit pénal, et particulièrement de la justice antiterroriste, aux acteurs économiques.

A la veille de l’ouverture de cette audience, le CAVEAT revient sur l’affaire et le contexte juridique ayant conduit à ce procès hors norme.

Par Emma Ruquet, doctorante contractuelle à l’Université Evry Paris-Saclay

Le 3 novembre 2025

Le 15 novembre 2016, les associations Sherpa et ECCHR (European Center for Constitutional and Human Rights), ainsi que onze anciens salariés syriens de la filiale Lafarge Cement Syria (LCS), déposent une plainte visant la société Lafarge S.A. pour financement du terrorisme, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ainsi que pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui. La société Lafarge S.A., de droit français, avait fait construire une cimenterie à Jalabiya, en Syrie, exploitée par sa filiale Lafarge Cement Syria, détenue majoritairement par la maison mère. Dès 2012, le site se retrouve au cœur du conflit syrien : les cadres étrangers sont évacués, tandis que les salariés syriens demeurent sur place, exposés aux risques liés aux affrontements et à l’occupation de la région par des groupes armés. Durant cette période, LCS aurait procédé à plusieurs versements financiers à des groupes islamistes contrôlant successivement la région, afin de maintenir son activité. En septembre 2014, la cimenterie est évacuée, peu avant sa prise par l’organisation État islamique 1.

Le 16 octobre 2024, la société Lafarge S.A., ainsi que quatre de ses anciens dirigeants, sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris par les juges d’instruction. Les audiences, prévues du 4 novembre au 16 décembre, porteront spécifiquement sur les chefs de financement du terrorisme et de violation d’un embargo. Cette procédure illustre l’évolution du droit pénal français face aux enjeux contemporains de la lutte contre le terrorisme et constitue une étape majeure pour l’appréhension des questions juridiques soulevées par ce type de contentieux.

La singularité de cette procédure tient d’abord à la poursuite d’une société commerciale en tant que personne morale. La reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales, longtemps débattue, a ouvert la voie à de telles poursuites. À titre introductif, il importe donc de rappeler les origines et les fondements de cette responsabilité en droit français, préalable indispensable à la compréhension du cadre dans lequel s’inscrit le procès Lafarge.

Le refus historique du droit international de la responsabilité pénale des acteurs économiques: le cas I.G. Farben

Le 29 juillet 1948, le Tribunal militaire américain VI, juridiction résiduelle du Tribunal militaire international de Nuremberg, rend son jugement dans l’affaire I.G. Farben, sur le fondement de la loi n° 10 du Conseil de contrôle allié. Vingt-trois dirigeants du groupement d’intérêt économique sont poursuivis pour leur participation aux crimes commis durant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de la première intervention judiciaire visant la responsabilité d’acteurs économiques dans la perpétration de crimes internationaux.

En l’espèce, aucune disposition légale ne permet au Tribunal de retenir la responsabilité pénale du conglomérat ou des sociétés qui le composent. Le jugement souligne cependant que ces structures économiques ont été utilisées comme « instrument de cohésion » 2 facilitant la commission des crimes. Le Tribunal VI rappelle ainsi les principes posés par le Tribunal militaire international de Nuremberg, résumant la difficulté fondamentale de la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales : la dépendance naturelle entre société et représentants doit être conciliée avec le principe de responsabilité individuelle. Les juridictions pénales internationales ultérieures ont régulièrement débattu de cette tension, oscillant entre refus 3 et tentatives de reconnaissance 4 de la responsabilité pénale sui generis des personnes morales.

Aujourd’hui, malgré les négociations autour de la création d’une cour criminelle internationale et des projets de codification des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, le Statut de Rome ne prévoit pas la possibilité de poursuivre les personnes morales devant la Cour pénale internationale 5.

La responsabilité pénale des personnes morales en droit français contemporain

 En droit interne, et dans le cadre des principes de subsidiarité et de complémentarité entre juridictions internationales et systèmes nationaux6, cette question s’est construite progressivement. La reconnaissance doctrinale et jurisprudentielle des personnes morales comme sujets de droit sui generis a longtemps été controversée, oscillant entre la théorie de la fiction, selon laquelle la personne morale n’existe que par la volonté du législateur, et celle de la réalité, qui reconnaît une existence juridique indépendante. La jurisprudence française a connu plusieurs hésitations 7. Ce n’est qu’à travers un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation que la personnalité juridique indépendante des sociétés commerciales a été consacrée 8, ouvrant la voie à leur responsabilité pénale autonome.

La loi n° 92-683 du 22 juillet 1992, portée par l’ambition de Robert Badinter de faire du droit pénal le reflet des « valeurs de notre société » 9, entrée en vigueur le 1er mars 1994 10, consacre ce principe à l’article 121-2.

Quelques années plus tard, la loi Perben II du 9 mars 2004 supprime la clause de spécialité, généralisant ainsi le principe de responsabilité pénale des personnes morales.

« Les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants[…] »

C’est à la lumière de ce cadre juridique que la société Lafarge S.A., aux côtés de plusieurs de ses anciens dirigeants, se trouve aujourd’hui poursuivie en son nom propre, en tant que personne morale sui generis. L’évolution normative ayant conduit à cette reconnaissance éclaire les enjeux théoriques majeurs du procès. Elle permet notamment d’appréhender la question de l’existence autonome d’une société commerciale, existence pourtant nécessairement conditionnée par les actes et la volonté de ses représentants. Ce lien organique soulève la question du cumul, voire de la répartition, des responsabilités pénales dans un contexte où la frontière entre action individuelle et décision corporatiste peut s’avérer ténue.

Au-delà de cette interrogation structurante, les audiences constitueront un terrain privilégié pour examiner plusieurs problématiques propres à la justice antiterroriste : le régime juridique de l’infraction de financement du terrorisme, la recevabilité des constitutions de partie civile dans ce contentieux spécifique, ou encore les divergences procédurales entre le système français et certaines juridictions étrangères.

Ainsi, l’ampleur du procès Lafarge et la complexité des questions qu’il soulève confèrent à cette affaire une valeur exemplaire pour la compréhension contemporaine de la justice antiterroriste. Dans le cadre de ses missions d’analyse, de vigilance et d’étude, le CAVEAT en assurera un suivi attentif. Les publications à venir, conçues dans la continuité de la présente, auront pour finalité de recontextualiser, d’éclairer et, le cas échéant, de questionner les enjeux juridiques révélés au fil des audiences.

Références bibliographiques : 

1. Association Sherpa, Dossier « Affaire Lafarge en Syrie », consultation le 29 octobre 2025, https:// www.asso-sherpa.org/affaire-lafarge-syrie

2. Tribunal Militaire Américain, Procès de Karl Krauch et al, Le procès I.G. Farben, 14 août 1947 - 29 juillet 1948, p. 52

3. TPIR, Chambre de première instance I, LE PROCUREUR c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA, Hassan NGEZE, 3 décembre 2003, ICTR-99-52-T, p. 326, par. 952 et s.

4. TSL, Chambre d’Appel, NEW TVS.A.L. KARMA MOHAMED TAHSIN AL KHAYAT, DECISION ON INTERLOCUTORY APPEAL CONCERNING PERSONAL JURISDICTION IN CONTEMPT PROCEEDINGS, 2 octobre 2014, Case n° STL-14-05/ PT/AP/ARI26.1, p. 32 , par. 74 ; TSL, Chambre d’Appel, AKHBAR BEIRUT S.A.L. IBRAHIM MOHAMED ALI AL AMIN, DECISION ON INTERLOCUTORY APPEAL CONCERNING PERSONAL JURISDICTION IN CONTEMPT PROCEEDINGS, 23janvier 2015, Case n° STL-14-06/PT/AP/AR126.1, pp. 20-24,par. 60-75.

5. Article 25(1) Statut de Rome, 1er juillet 1998, « La Cour est compétente à l’égard des personnes physiques en vertu du présent Statut […]».

6. Statut de Rome, 1er juillet 1998, Préambule, Article 17(1)(a), Article 17(1)(b).

7. Crim. Cass. 6 août 1829, Bull. Crim., N. 178, p. 459 ; Crim. Cass., 24 sept. 1830, Bull. Crim. N. 226, p. 508 ; Crim. Cass., 24 déc. 1864, Bull. Crim., N. 302, p. 528 ; Crim. Cass., 12 juin 1875, Bull. Crim., N.189, p. 303.

8. Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 28 janvier 1954, 54-07.081, Publié au bulletin.

9. Texte n° 300 (1985-1986) de M. Robert BADINTER, garde des Sceaux, ministre de la justice, déposé au Sénat le 20 février 1986, p.4.

10. Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, article 373.